De Cagliostro aux Arcana Arcanorum par Denis Labouré (partie 1)

Depuis quelques années, plusieurs auteurs ont rappelé l'existence des Arcana Arcanorum. Certains l'ont fait en pleine connaissance de cause, comme Jean Mallinger , Jean-Pierre Giudicelli de Cressac-Bachelerie et Michel Monereau . D'autres en parlent sans avoir la moindre idée de ce dont il s'agit. Afin que l'apprenti-maçon sépare le bon grain de l'ivraie, afin qu'il comprenne que l'Ordre auquel il appartient est réellement une Voie, j’ai souhaité rédiger l'étude qui suit .


Cagliostro et le Secret des Secrets

En 1614, le médecin et alchimiste Michael Maïer (1568-1622) intitulait son premier livre Arcana Arcanissima. Cet ouvrage était dédié au médecin anglais William Paddy, ami de Robert Fludd. Au XVIIIe siècle, l'expression arcana arcanorum se rencontre dans la littérature rosicrucienne, par exemple dans les Symboles Secrets d'Altona, publiés en 1785 et 1788. Depuis la fin du XVIIIe siècle, l'expression Arcana Arcanorum désigne des matériaux (enseignements et rituels) dans lesquels Cagliostro puisa au cours de ses nombreux voyages dans les Ordres initiatiques d'Europe. Son enseignement n'évoquait pas les Arcana Arcanorum, mais le Secreto Secretorum (le Secret des Secrets), ce qui est similaire. Compte tenu du secret qui entourait ces pratiques, l'examen des enseignements de Cagliostro constitue la meilleure approche possible à l'étude du contenu des Arcana Arcanorum tels qu'ils existaient à cette époque. Des enseignements et rituels issus de ces matériaux sont révélés au sommet de plusieurs Ordres initiatiques, sous des formes diverses, plus ou moins complètes.

Remis le 8 Octobre 1816 au Grand Orient de France, un abrégé des quatre derniers grades du rite de Misraïm est présenté le 20 Novembre 1816 aux cinq membres d'une commission d'examen. Rédigé en italien, il a pour titre arcana arcanorum . Ces Arcana Arcanorum furent rapportés d'Italie, vers 1816, par les frères Joly, Gabboria et Garcia qui les avaient reçus en 1813. Ils furent introduits dans le Rite de Misraïm , en parallèle aux quatre derniers degrés, du 87e au 90e , qui ne présentaient jusque là aucun aspect opératif .

Plus récemment, certaines pratiques issues des Arcana Arcanorum furent intégrées dans le quatrième et dernier degré de l'Ordre d'Hermès Tétra-Mégiste (O.H.T.M.) fondé en 1927 par Emile Dantinne (1884-1969), Jean Mallinger (1904-1982) et François Soetewey .



Les cercles d'adeptes

Au XVIIIe siècle, les adeptes se rencontrent et travaillent sur des voies terminales similaires. Citons deux cercles de ce type :

l'Ordre allemand de la Rose Croix d'Or d'Ancien Système et surtout l'Ordre des Frères Initiés d'Asie , au fonds nettement kabbalistique. Cagliostro traversa l'Allemagne en 1779 où il participa à divers travaux alchimiques et théurgiques en milieu maçonnique.
l'Ecole de Naples - ville où séjourna Cagliostro en 1783 - héritière des courants chaldéens, égyptiens et pythagoriciens. Ses matériaux paraissent avoir été « kabbalisés », hébraïsés au XVIIIe siècle.


La composition des Arcana Arcanorum

Ces cercles d'adeptes s'attachaient à l'étude de trois domaines distincts, mais en inter-relations permanentes, car chacun contribue à la réalisation des deux autres :

Un système théurgique d'invocation du Saint Ange Gardien ou d'une pluralité d'anges. Les invocations de l'éon-guide et celles de quatre, sept, neuf anges nous sont parvenues.
Une pratique de l'alchimie métallique de laboratoire. Les textes qu'il m'a été donné de consulter travaillent avec l'antimoine.
Une pratique des alchimies internes, utilisant les processus et qualités substantielles du corps physique considéré comme athanor, ce « four à température constante des alchimistes » . Chaque élément, chaque étape de l'alchimie métallique trouvent leurs correspondances dans le corps de l'adepte. Celui-ci effectue un aller-retour permanent entre l'Oeuvre extérieure et l'Oeuvre intérieure.
Les Arcana Arcanorum insistent sur la théurgie, considérée comme une clef ouvrant à l'initié la voie à la pratique des alchimies métallique et interne auxquelles ils ne sont qu'une introduction. Ils proposent une technique de mise en contact avec des éons-guides qui doivent prendre le relais pour dévoiler certaines clefs de l'alchimie interne.



1/ L'évocation des anges

« Les soixante-douze revinrent tout joyeux, disant : « Seigneur, même les démons nous sont soumis en ton nom ! » Il leur dit : « ... Voici que je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds serpents, scorpions, et toute la puissance de l'Ennemi, et rien ne pourra vous nuire. Cependant ne vous réjouissez pas de ce que les esprits vous sont soumis ; mais réjouissez-vous de ce que vos noms se trouvent inscrits dans les cieux. » Luc 9, 20.



Ce que l'on nomme « première quarantaine » est décrit dans le catéchisme de maître du Rite Egyptien. Là, Cagliostro révèle les moyens qui culminent dans la retraite de quarante jours « pour parvenir à régénérer l'homme dégénéré ». A l'issue de cette claustration, « l'homme n'aspire plus alors qu'à un repos parfait pour pouvoir parvenir à l'immortalité et pouvoir dire de lui ego sum qui sum », mots qui, d'après la Bible, sont ceux de Dieu à Moïse, depuis le buisson ardent. Retiré dans un pavillon de trois étages appelé Sion, construit selon des prescriptions architecturales précises, il s'y livrera à de longues heures de méditation, à des travaux ayant pour but la préparation du pentagone sacré, et du trente-troisième au quarantième jour pourra communiquer avec les Anges. Il aura à ce moment acquis des connaissances infinies embrassant le passé, le présent et le futur et « son pouvoir sera immense ».

Après trente-trois jours, il commence à « recevoir la faveur de communications visibles avec les sept anges primordiaux et à connaître les sceaux et les nombres de ces Entités immortelles. » Après le quarantième jour, il reçoit le premier « pentagone, qui est le papier vierge sur lequel les anges primordiaux ont placé leurs nombres et leurs sceaux » ainsi que sept « pentagones secondaires » sur lesquels « un seul des sept anges a placé son sceau ». Par les pentagones, il « commande les immortels au nom de Dieu » avec pour « effet d'obliger ou de commander les esprits aériens, et d'effectuer beaucoup de merveilles et de miracles ». Ceci constitue le rituel théurgique. Selon Cagliostro, son but est « d'obtenir le Pentagone et de devenir moralement parfait. »

Nous retrouvons l'origine d'une telle démarche dans le système maçonnique de l'Etoile Flamboyante de Tschoudi et dans les rituels de la Rose-Croix d'Or. La Rose-Croix d'Or elle-même reçut de sources plus anciennes l'évocation des « sept anges primordiaux » ou du Saint Ange Gardien. Pour l'évocation du Saint Ange Gardien, La magie sacrée..., plus connue sous le nom de Livre d'Abramelin le mage est un important antécédent. Conservé à la bibliothèque de l'Arsenal à Paris, il fut publié en langue anglaise en 1898 par S. L. MacGregor Mathers (1854-1918) . Robert Ambelain le publia en langue française contemporaine en 1959. Le livre était attribué à « Abraham le Juif » qui serait né en 1362. Ce texte, considéré par Aleister Crowley comme essentiel pour tout travail ésotérique, fut traduit du latin au XVIIIe siècle et fut probablement écrit au XVe siècle. Les livres qui composent le « travail interdit de Cornelius Agrippa » - cités explicitement par Cagliostro dans la première quarantaine - sont également du XVe siècle. Toutefois, les origines de la théurgie et les évocations des anges sont plus anciens . Ils remontent au XVe siècle, avec les oeuvres de Pelagius, l'hermite de Majorque dont l'Anacrise a été republiée par Robert Amadou ; au XIVe siècle avec Pierre d'Abano ; aux premiers siècles de l'ère chrétienne avec les Oracles Chaldaïques, attribués à un certain Julien dit « le chaldéen » et à son fils Julien dit « le théurge ». Un texte tel que l'Anacrise contient de nombreux rites similaires à ceux de Cagliostro. Cette remarque vaut pour un grand nombre de rituels de la Renaissance.

L'expression « effectuer de nombreux merveilles et miracles » est trompeuse. Elle paraît utilitaire alors que la théurgie (comme le titre de la première quarantaine de Cagliostro le précise) sert par dessus tout à « devenir moralement parfait ». Cette démarche repose sur le modèle classique de la mort et de la renaissance. Elle implique un processus par lequel l'initié meurt aux ténèbres dans lesquelles l'humanité est tombée pour renaître à une vie supérieure. Cette « perfection » peut être obtenue par l'accomplissement de ritesoù le symbolisme est présent depuis le commencement, mais n'est expliqué et illustré qu'au fur et à mesure de la progression de l'impétrant. C'est le modèle des cérémonies de la Maçonnerie Egyptienne de Cagliostro qui suscita la naissance de nombreux rites maçonniques dits « Egyptiens ». Tous ces rites doivent à Cagliostro une bonne part de leurs rituels et doctrines . Pour Cagliostro, il existait une continuité entre la « maçonnerie égyptienne » et les rites théurgiques. La première n'était qu'une préparation et une représentation symbolique des seconds. L'initié du rite Egyptien, préparé par son travail maçonnique, pouvait passer aux techniques théurgiques avec le sentiment d'une continuité naturelle.

Le rapport entre les Arcana Arcanorum et les rites Egyptiens est ambigu. Un rite comme celui de Misraïm naquit sous la forme d'un système purement kabbalistique, sans les Arcana Arcanorum qui furent greffés en parallèle à ses derniers degrés quelques années plus tard, après leur arrivée d'Italie. Ainsi, le 89e degré du Rite de Misraïm propose le programme suivant : « On donne dans ce grade qu'on peut appeler le dernier de la Maçonnerie du Rite de Misraïm, une explication développée des rapports de l'homme avec la divinité, par la médiation des esprits célestes. Ce grade, le plus étonnant de tous, exige la plus grande force d'esprit, la plus grande pureté de moeurs et la foi la plus absolue... Le mot de passe est Uriel, nom d'un des chefs des légions célestes, qui se communique plus facilement aux hommes. » Plus tard, ils furent à nouveau perdus. Certaines parties réintégrèrent les rites Egyptiens par l'intermédiaire d'autres ordres .

Dans la première acception du terme, les Arcana Arcanorum sont donc l'évocation théurgique d'un ou plusieurs anges par des talismans, des sceaux, des pentagones ou autres techniques. Les Arcana Arcanorum révélés dans les plus hauts degrés des Ordres initiatiques cités au début de cet exposé relèvent de cette définition, même si quelques éléments de la seconde quarantaine de Cagliostro y transparaissent parfois. Loin d'être une fin en soi, cette évocation marque le début d'un cheminement. Bénéficiant de l'assistance de l'Ange Gardien ou des anges évoqués, l'initié entreprend les processus de transmutation. Cette évocation permet à l'initié d'entrer en possession de la clef. Il lui reste à pénétrer dans la pièce pour la remettre en ordre.


...