De Cagliostro aux Arcana Arcanorum par Denis Labouré (partie 2)

2/ La conquête de l'immortalité

« Et il advint, comme il priait, que l'aspect de son visage devint autre, et son vêtement, d'une blancheur fulgurante. » Luc 9, 29.

« Mes petits enfants pour qui j’éprouve les douleurs de l’enfantement jusqu’à ce que le Christ soit formé en vous. » Galates 4, 19.


En redescendant du Sinaï, Moïse avait un visage rajeuni, éclatant de lumière. Cagliostro prétend qu'après une régénération morale, c'est-à-dire psychique, durant laquelle il aura décuplé ses facultés, un initié est prêt à se régénérer physiquement. L'objectif final des deux quarantaines est évoqué subtilement dans le catéchisme de compagnon du rite égyptien qu'il dicta à Saint-Costard ; « D. Quel est l'usage et pourquoi dois-je toujours porter un habit talare ? R. L'homme s'étant régénéré moralement et physiquement, il recouvre le grand pouvoir que la privation de son innocence lui avait fait perdre. Ce pouvoir lui procure des visions spirituelles et dans la première, il reconnaît que le vêtement physique de tout mortel consacré à l'Eternel doit être l'habit talare. Tel est celui que, dans toutes les religions et dans tous les temps, ont porté les sacrificateurs, les prêtres ou les hommes dévoués à Dieu. »

C'est dans le catéchisme de maîtresse du Rite Egyptien d'adoption que figure le programme de cette retraite de quarante jours, inspirée de celle que fit Moïse sur le Sinaï à sa sortie d'Egypte, pour la régénération et l'immortalité physique . Lors de cette seconde quarantaine susceptible d'être renouvelée tous les cinquante ans, l'adepte tente de devenir physiquement [et non plus seulement moralement] parfait. Accompagné d'un ami, le candidat s'enfermera dans une maison de campagne ayant une chambre dont les fenêtres sont au midi. L'opération doit commencer dans la pleine lune de mai ; la nourriture ne consistera pendant les seize premiers jours que dans des soupes légères et des herbages tendres et le patient sortira toujours de table avec un peu d'appétit. L'initié boira la rosée de mai, recueillie sur les blés en herbe avec un linge de lin pur et blanc. Il commencera le repas par un grand verre de rosée et le finira par un biscuit ou une simple croûte de pain. Le dix-septième jour, au lever de l'aurore, le candidat à la régénération devra se faire tirer une palette de sang, c'est-à-dire une saignée légère. A partir de ce jour, il prendra des gouttes blanches de baume d'azoth, six le matin et six le soir, en augmentant la dose de deux gouttes par jour jusqu'au trente-deuxième. Le trente-troisième jour, après le même régime, il restera au lit jusqu'à la fin de la quarantaine. Il prendra un grain de Materia Prima. Au premier réveil, après la saignée, il absorbera un premier grain de médecine universelle, prise qu'il renouvellera les jours suivants. Après un évanouissement de trois heures, puis des convulsions, des transpirations et des évacuations considérables, il changera de linge et de lit. Il prendra ensuite un consommé de boeuf sans graisse, assaisonné de plantes rafraîchissantes et laxatives. Le jour suivant, second grain de médecine universelle. Le jour d'après, il prendra un bain tiède. Le trente-sixième jour, troisième et dernier grain de médecine universelle. Un sommeil profond suivra. Les cheveux, les dents, les ongles et la peau noirciront et se renouvelleront. Le trente-huitième jour, bain aux herbes aromatiques ci-dessus nommées. Le trente-neuvième jour, il avalera, dans deux cuillerées de vin rouge, dix gouttes de l'élixir d'Acharat. Le quarantième jour, il retournera chez lui rajeuni et parfaitement recréé. Grâce aux forces ainsi acquises, l'homme régénéré pourra « propager la vérité, anéantir le vice, détruire l'idôlatrie et étendre la gloire de l'Eternel ».

Que nous explique ce texte apparemment obscur ? Au printemps, lors de la pleine lune de mai, l'initié s'isole physiquement et psychologiquement pour entreprendre son opération, le premier arcane des alchimies internes. Il s'astreint à un régime dont l'objet est la purification de son organisme par les moyens alors connus ; régime alimentaire particulier, saignées, eau pure, bains, sudations. Puis il commence l'absorption de la materia prima qui n'est ici ni le cinabre ni la potasse ! Il s'agit peut-être de la materia prima dont parle Cyliani quelques décennies plus tard, dans Hermès dévoilé. La substance absorbée est dissoute (Solve) par ce four, cette source de feu continue qu'est le corps. De même que le corps d'Hiram était dans un état avancé de putréfaction lorsqu'il fut ressuscité, les matériaux du Grand Oeuvre doivent être dissous (solve), décomposés pour libérer leur puissance. Pour que la substance délivre son essence, l'initié ingère à partir du dix-septième jour quelques gouttes de baume d'azoth, un mélange de soufre et de mercure (il ne s'agit ni du soufre ni du mercure vulgaires), intimement et inséparablement unis, qui fait le mercure philosophal. Ainsi débarrassée de son enveloppe grossière, l'essence obtenue est assimilée au sang. Dès lors, elle tisse, elle alimente la construction (Coagula) d'un corps particulier incorruptible, le soma psychikon, le vêtement d'or des noces qui remplace la tunique d'esclavage revêtue par Adam lors de la chute.
Ce type de démarche paraîtra totalement incongru au franc-maçon contemporain coupé des sources hermétiques de son Ordre. Il sait que sa loge est une société en miniature, une image de la société extérieure. Mais qui lui a dit qu'elle était également la reproduction du microcosme humain ? A l'instar des temples égyptiens ou hindous, ou des cathédrales, elle reproduit une tête, des bras, des jambes et tous les organes du corps. L'entrée et la sortie des initiés, la position et les mouvements des officiers renseignent sur ces procédures d'alchimie interne.

Une méthode de rajeunissement qui précéda Cagliostro est contenue dans le Thesaurus Thesaurorum, un manuel complexe utilisé par la Rose-Croix d'Or, daté de 1580, mais certainement plus récent. Sous le titre « Comment on use de la Magie pour changer sa nature et redevenir jeune », on lit des prescriptions très similaires à celles de Cagliostro, souvent quasiment identiques. Les deux rituels décrivent une retraite magique de quarante jours en des termes très similaires. Le texte allemand demande de prendre le Lapis Medicilanis Macrocosmi, obtenu par une alchimie de laboratoire élaborée qui peut utiliser la terre et des gouttes de pluie, mais suggère qu'on utilise plus facilement de l'eau de pluie. Selon le Thesaurus allemand, il est nécessaire d'ajouter une « pierre des philosophes » obtenue à partir de la distillation de son propre sang ; nous avons trouvé une référence au sang similaire chez Cagliostro. Cagliostro et le Thesaurus se réfèrent également à « des grains de Materia Prima ».

Ces recettes pour retrouver la jeunesse perdue paraissent bien périlleuses. Elles témoignent que l'aspect médical est inaliénable de cette action, au profit de soi et du prochain . Les anciens Rose-Croix pratiquaient la médecine hermétique. Le peuple prit la défense de Cagliostro par reconnaissance envers son dévouement envers les malades. L'objectif de la Fraternité Hermétique et Magique de Myriam était l'application des pouvoirs que l'élève avait pu acquérir à la guérison d'autrui.


Voie interne et voie externe

L'évocation des anges entrevue dans le premier chapitre relève d'une « voie externe » et la conquête de l'immortalité du second chapitre propose « une voie interne ». L'évocation des anges est une procédure d'appel et de mise en contact avec des intelligences extérieures alors que la conquête de l'immortalité oeuvre à l'intérieur de l'opérant. L'appel des anges sans prolongement interne satisfera la curiosité de l'apprenti-mage, mais elle le mènera à un agnosticisme aigri. Pour s'en convaincre, il suffit d'avoir cotoyé intimement ces occultistes en fin de carrière qui pensèrent que la Magie se suffisait à elle-même. Inversement, trop d'alchimistes savants ont collectionné les procédures les plus sophistiquées sans parvenir à les faire fonctionner, alors que la lumière émane d'apprentis plus ignorants dont le coeur est ouvert. L'Esprit souffle où il veut et il n'est ni magie, ni alchimie, laïque. La pratique d'arcanes naturels s'effectue dans un cadre religieux, au sein d'un mythe - au sens noble du terme - opérant. Par ce mythe, l'aspirant est tendu vers son idéal et calme son mental, que H. P. Blavatsky nommait « le grand meurtrier du Réel ». Prenons l'exemple du christianisme ; prière et liturgie enseignent au néophyte à maîtriser son humeur capricieuse et lunatique. « Un fidèle est triste, pris à la gorge par des soucis d'argent, malade : il vient à Pâques et il lui faut chanter la Résurrection. Il est heureux de vivre, le coeur plein de joie : c'est le Vendredi Saint et il lui faut chanter les plaintes devant Dieu crucifié par les hommes. Entrer dans le rythme liturgique, c'est s'habituer à ne plus vivre dans son petit mythe à soi, évoluant suivant ses impressions, mais à vivre l'Homme Unique - le Deuxième Adam -, à se réjouir et à pleurer avec l'humanité. » Quand le mental se tait, le coeur s'ouvre. Le mythe au sein duquel opère l'alchimiste a pour objet de favoriser cette ouverture, cette respiration du coeur. Les alchimistes ont su être chrétiens, musulmans ou hindouistes tout en ne s'identifiant pas au mythe au sein duquel ils opéraient. L'adepte sait reconnaître qu'un mythe fonctionne , mais il ne saurait être assez prétentieux pour imaginer que seul son mythe fonctionne.

La distinction « voie interne », « voie externe » est commode, mais elle est trop rigide. D'une part, aucun résultat dans l'évocation des anges ne peut être obtenu sans l'acquisition d'une attitude intérieure particulière. D'autre part, la conquête de l'immortalité conduira le néophyte à la catastrophe si l'ange ne veille ni ne guide. Disons simplement que, dans ce travail, et à l'intérieur du même personnage, un va-et-vient incessant s'opère entre le mage - ou le prêtre - et l'alchimiste.

Denis Labouré

Dans cet article sur les Arcanas, il est fait mention d'alchimie métallique....Mais dans le cas ici présent pour les quarantaines de Cagliostro ne serait ce pas plutôt de la spagyrie ? D'autant qu'il existait à Naples dans le quartier Alexandrin (lieu ou à vécu D'aquino et Sansevero) toute une tradition de préparations d'huiles et d'onguents.

Non, les quarantaines de Cagliostro ne sont pas de la spagyrie.
Elle sont très bien expliquer dans :
Cagliostro. Documents et études. Notes brèves sur le Cosmopolite de Arturo Reghini
Le Maître Inconnu de Marc Haven

En bref et de mémoire il s'agit de s'enfermer dans une pièce pendant 40 jours, de jeûner, etc... perdre ses cheveux, ses ongles puis une régénération totale du corps se produit, rajeunissement, repousse des cheveux, des ongles etc....

Il aurait effectué ses fameuses quarantaines à Saverne, dans une maison dont l'architecture était spécialement conçue pour cela.

Pourtant, il me paraît plus logique qu'après avoir jeûner, respirer, prier, la sang est plus "pur", le travail des reins permet de chauffer à temperature constante... Le travail en conscience de la rate, de l'estomac et du foie permet de séparer en conscience le subtil de l'épais et d'allumer le "feu cardiaque".

Le sang ainsi "vitalisé" peut servir de matière première mais.....quid du chauffage de celui ci en externe pour la fabrication (coagulation, ébullition); c'est pourquoi la quintessence de plantes choisies me semble plus pertinent car se rapprochant de la "signature sanguine"